Comment assurer une exploitation de la ressource marine et la pérennité d’un modèle de développement économique adossé à l’activité de pêche ? Voilà, en quelques mots, l’enjeu du projet. Depuis juin 2017, un programme de recherche, financé sur fonds communautaires Feder 2014-2020, associe de manière étroite l’Université de Corse, le CNRS, l’Office de l’Environnement de la Corse (OEC), la station STARESO* et les professionnels de la mer à travers le Comité Régional des Pêches Maritimes et des Elevages Marins Corses (CRPMEM) pour y répondre. Son nom ? MOONFISH. Derrière cet acronyme anglais, se prépare un outil de modélisation pour la gestion durable des ressources halieutiques en Corse.
L'objectif du programme est de proposer des stratégies de pêche respectueuses du milieu afin de maintenir ou de restaurer les stocks à des niveaux permettant d’assurer la durabilité de la production. La méthode ? « Il s’agit, avant toute chose, d’acquérir les connaissances les plus larges possibles sur le milieu et les espèces, pour essayer de concevoir un modèle de gestion des ressources spécifique à la Corse, en créant des outils d’aide à la décision pour les pêcheurs et les organes de gestion », explique Paul-Antoine Bisgambiglia. Maître de conférences en informatique, ce chercheur du Laboratoire Sciences Pour l’Environnement (CNRS / Université de Corse) chapeaute le projet MOONFISH aux côtés d’Eric Durieux, biologiste et maître de conférences en écologie marine, pour mener à bien un éclairage sur l’état et l’évolution de la ressource halieutique sur les côtes corses, dans le prolongement des études diligentées sur la plate-forme marine STELLA MARE (CNRS / Université de Corse).
Pour cela, la dizaine de chercheurs rattachée au projet, associant biologistes et informaticiens du Laboratoire Sciences Pour l’Environnement (CNRS / Université de Corse), s’appuie notamment sur les échanges avec les pêcheurs corses, via leur comité régional (CRPMEM) et leurs quatre prud’homies. Un apport de taille pour les scientifiques : les professionnels de la mer apportent en effet une connaissance du milieu et un savoir-faire permettant aux chercheurs d’exploiter des données plus exhaustives, en phase avec la réalité du terrain, pour tenter de définir une gestion durable. À ce titre, des enquêtes pointues sont menées auprès des pêcheurs in situ mais également par le biais de questionnaires précis élaborés pour élargir le spectre des connaissances.
Dans le contexte d’une profession qui peine à se renouveler, capitaliser sur le savoir empirique des professionnels de la pêche est également l’un des objectifs de Moonfish pour contribuer à son développement. Des pêcheurs qui voient également la science comme un moyen de pérenniser leur activité. Sur les quelques 190 espèces pêchées en Méditerranée, les travaux de l’Université de Corse et du CNRS portent plus particulièrement sur une dizaine « d’espèces d’intérêt » parmi les plus lucratives : denti, mérou, espadon, langouste, oursin… « Dans un second temps, l’un des objectifs du programme est d’établir un modèle qui permette de faire de la prévision pour contribuer à la proposition d’une politique de pêche, projette Paul-Antoine Bisgambiglia. Il pourrait s’agir de préserver les stocks de certaines espèces sur des périodes données ou de protéger des zones dans l’intérêt de la ressource, en prenant en compte la situation du marché ».
D’ailleurs, Moonfish n’occulte aucun secteur du littoral insulaire corse. Pour accroître son volume de connaissances, les acteurs du projet puisent aussi auprès des partenaires engagés dans la démarche. L’Office de l’environnement de la Corse (OEC), gestionnaire de la réserve naturelle des Bouches de Bonifacio, dispose par exemple de 25 ans de données sur l’évolution des stocks halieutiques sur ce site phare de la pêche insulaire. « Nous mettons à disposition du programme l’ensemble des données récoltées, notamment à travers la collaboration avec les pêcheurs de la prud’homie de Bonifacio depuis 1992, afin d’alimenter au maximum le projet de modélisation, indique Marie-Catherine Santoni, assistante scientifique en charge du suivi de stocks halieutiques à l’OEC. Cela permet notamment de mettre en évidence l’effet de la gestion des aires marines protégées sur la rentabilité et la production de la pêche artisanale qui peuvent doubler, voire tripler pour certaines espèces exposées aux prélèvements des pêcheurs récréatifs ».
C’est dire si le programme serait forcément incomplet s’il ne prenait en compte que la pêche professionnelle. « La pêche de loisir est un compartiment qui a aussi son importance et pour lequel peu de données sont disponibles en Corse afin de pouvoir l’apprécier précisément, poursuit Marie-Catherine Santoni. Sur la réserve naturelle de Bonifacio, nous en disposons depuis 2006, ce qui nous permet de jauger les prélèvements issus de cette activité, par exemple sur le cas du denti que nous suivons depuis plusieurs années. En somme, nous essayons de valoriser les expériences acquises, maîtriser localement les données de la pêche et travailler avec l’Université de Corse pour les étudier scientifiquement et publier ces expériences à l’échelle internationale. Ceci, afin de soutenir au mieux la pêche côtière artisanale corse ».
Cette étude sur le Denti a d’ailleurs été approfondie pendant les travaux de thèse de Michel Marengo à l’Université de Corse / CNRS, co-encadré par Eric Durieux. Michel Marengo est actuellement en chargé de recherche à la station STARESO financé par le projet MoonFish : « j’ai pour mission de traiter les données de la base STARESO et d’apporter mon expérience sur la récolte et l’exploitation des données biologiques acquises pendant les embarquements de suivis halieutiques ».
Avec un enjeu clair : aboutir à un modèle de pêche durable qui constitue donc le défi majeur de la démarche, et surtout le moyen de maintenir une activité économique avec la science désormais parmi ses alliés.
*Station de Recherches Sous-marines et Océanographiques
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